Les temps changent, l'imbécillité demeure

Les temps ont changé; il n'y a pas si longtemps, à une époque qui connaissait encore le sens des mots «indignation» et «contestation», il aurait suffit de l'imbécillité, l'immoralité ou la férocité d'une multinationale qui entreprend de censurer la liberté de parole d'un auteur, pour propulser ce dernier au devant de l'actualité et lui assurer une gloire certaine. À l'époque à laquelle je fais allusion, la censure qui s'abattait sur un livre était souvent la voie royale qui mène au best seller. Mais il semble que les temps aient bien changé... tandis que l'imbécillité est la même.

Aujourd'hui elle se nomme Barrick Gold, cette gigantesque minière canadienne qui est allée de l'avant, comme elle l'avait annoncé, en déposant une plainte contre les auteurs et l'éditeur de l'excellent ouvrage dont j'ai déjà parlé, Noir Canada (Éditions Écosociété): 6 millions de dollars, c'est le montant de la poursuite, ce n'est pas rien. En fait, ça représente 25 fois le chiffre d’affaires annuel d’Écosociété!

La technique est connue et elle porte un nom: c'est la poursuite bâillon (ou SLAPP*, en anglais, qui évoque bien la violence d'une claque dans la gueule qu'une telle poursuite provoque). C'est bel et bien une atteinte à la liberté d'expression et c'est... très légal. Trop, même.
*SLAPP = Strategic Lawsuit Against Public Participation

C'est ce qui inquiète, justement, un petit collectif d'auteur qui ne m'a pas convoqué, mais auquel j'adhère entièrement, et qui a publié hier dans les pages du Devoir une lettre ouverte au ministre de la Justice. Je ne reproduirai pas la lettre ici (je vous invite cependant à cliquer sur le précédent lien), mais citerai simplement ce passage:

S'il faut protéger le droit, il faut aussi protéger le droit à la liberté d'expression des auteurs de Noir Canada contre toute forme d'intimidation. Si la contestation ou la dénonciation deviennent impossibles sous peine de poursuites, dans quel État de droit vivons-nous? Nos sociétés ont besoin de la vigilance des intellectuels, auteurs, chercheurs et journalistes.

La liberté d'expression est un gain trop fragile de nos sociétés contemporaines pour la voir remettre en cause par des intérêts commerciaux, concluent les auteurs de cette lettre ouverte.

Une dernière question: en évoquant l'imbécillité, l'immoralité et la férocité de Barrick Gold, serais-je susceptible à mon tour d'être accusé de diffamation? Qu'en pensent les avocats de la barrique?

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