L'art d'aimer aujourd'hui... selon Ovide

Plus le temps passe, et plus la frivolité me semble un sujet grave...


Les ouvrage de psychologie populaire pullulent quand vient le temps de parler d'amour. Il est regrettable qu'on ne pense plus à se tourner vers les classiques, mais il n'est pas trop tard pour le faire: Je vous invite donc à vous replonger… au début de notre ère chrétienne, il y a deux mille ans. Relisons Ovide et son Art d'aimer (et de se faire aimer, donc).


Pour choisir l'heureuse élue de son cœur, pas besoin de partir aux quatre vents, elle pourrait se trouver tout près de vous… «celle-là même dont tu pourras croire qu'elle ne veut pas, voudra. L'amour coupable est agréable à l'homme; il l'est aussi à la femme.» Ovide rajoute ce commentaire: «si l'homme sait mal dissimuler, la femme cache mieux ses désirs [mais la passion] est plus ardente que la nôtre et plus folle»


La séduction est un art, comme la chasse d'ailleurs; ruse, technique, talent… Pour séduire la femme choisie, on pourra tout d'abord gagner la complicité de sa servante; puis, il convient de lui écrire tout en gardant à l'œil le conseil suivant: «que ton style soit naturel, tes mots usuels, mais tendre, si bien que l'on croit t'entendre parler.» On se saurait trop complimenter la musique de l'oralité dans les écrits. Silence radio ou rejet, suite à la missive? Peu importe, ne paniquez pas, car, «ce qu'elle te demande, elle craint de l'obtenir; ce qu'elle ne demande pas, elle le souhaite». Mais par dessus tout, cette dernière remarque, sublime: «suivant la volonté de ta maîtresse, sache perdre ton temps.» Ni précipitation, ni abandon...


Inutile, poursuit Ovide de se farder ou se déguiser pour plaire; «une beauté sans apprêt sied aux hommes». Plus étonnant cependant est le conseil suivant: «désire plaire également à l'amant de ta belle; il vous sera plus utile devenu ton ami.» Là, je n'épiloguerai point sur les stratégies et les mœurs amoureuses d'Ovide, mais je me contenterai d'en admirer la sagesse perverse.


J'ouvre une courte paraenthèse sur l'usage de l'ivresse: le vin est un atout dont il ne faudra pas abuser; mais l'ivresse feinte peut en abuser plus d'un, et se révéler judicieux… (je renvoie le lecteur aux subtilités développés par Ovide).


Il faut savoir complimenter, promettre, pleurer et embrasser, user de quelques hardiesses: «Veux-tu la prendre? Demande. Elle ne désire que cette demande», mais souviens-toi: «Sois moins pressant, tu ne seras plus repoussé (…) pour faire pénétrer ton amour, cache-le sous le voile de l'amitié.»


Pour être aimé, il faut être aimable, écrit Ovide. Lapalissade? Alors répétons-le: «présente-toi avec de tendres caresses et des mots qui charment l'oreille, afin que ton amie se réjouisse de ta venue.» Aussi simple que cela paraisse, il est facile de l'oublier…


Soyons persévérant, complaisant parfois, généreux sans démesure (les cadeaux les plus simples sont les plus efficaces), élogieux, dévoué, mais sachons nous laisser désirer par nos absences («la force de l'habitude développe l'amour»), et bien entendu il faut «s'arranger pour que les infidélités demeurent ignorés». La fidélité, écrit Ovide, «c'est à peine si une femme mariée peut suivre cette conduite», alors, pensez, pour un homme… Il faut toutefois craindre la colère des femmes trompées, pire que toutes les fureurs animales réunies, selon lui, mais la jalousie peut se révéler le meilleur des aphrodisiaques (la jalousie est «le souffre» qui anime «le feu presque éteint»). Aux larmes de la femme trompée, répond par «les joies de Vénus»; le plaisir des disputes et de faire la paix, disait ma mère…


Cette question de la fidélité et de la jalousie est bien développée plus loin: «souffre avec patience un rival». C'est la chose la plus difficile qui soit, mais plein de sagesse, car «c'est croître l'amour de deux amants que de les surprendre» (rappelons-le: «l'amour coupable est agréable à l'homme; il l'est aussi à la femme»). L'amour se nourrit de secrets, le secret nourrit l'amour…


Accepte ton sort, écrit Ovide: «Lorsque qu'elle te voudra, tu viendras; lorsqu'elle t'évitera, tu t'en iras; un homme bien élevé ne doit pas être importun.» Et pour les masochistes qui sommeillent en nous, il ajoute: «N'aie pas honte de supporter les injures de ton amie, ses coups, et d'aller jusqu'à baiser ses pieds délicats.»





La dernière partie de son livre est réservée aux femmes et s'adresse donc à elles. Je passe sur l'art de prendre soin de sa beauté et de sa personne (chevelure, vêtement, maquillage…), art de la discrétion («l'art n'embellit la figure que s'il ne se montre pas»); un brin d'artifice ne nuit pas, et on apprend donc à rire comme à pleurer ou à marcher; laissez-vous désirer, écrit-il: «laissez à découvert, du côté gauche, l'extrémité de l'épaule et le haut du bras (…) cette vue me donne envie de couvrir de baiser tout ce que je vois…»


«C'est un charme qu'une voix mélodieuse: que les jeunes filles apprennent à chanter» et sachent réciter les poésies («est-il rien de plus voluptueux que ces vers [de Sapho]»), pratiquent la danse et sachent jouer (échecs ou poker, qu'importe les jeux car «à la faveur du jeu, souvent naît l'amour (…) En jouant nous cessons d'être sur nos gardes».


Ovide poursuit: ne vous cachez pas et allez vers le monde car «ce qui reste caché demeure inconnu» (le port du voile ici n'est donc pas conseillé) et il faut savoir laisser «pendre l'hameçon» car qui sait quel poisson y mordra… Méfiez-vous toutefois des séducteurs impénitents («ce qu'ils vous disent, ils l'ont dit à mille autres»).


Les conseils d'Ovide sur la lettre d'amour sont exquis, raffinés et un brin perfides: il laisse à la femme le soin de reconnaître la sincérité dans les mots de l'amant («les termes employés suffiront à te faire connaître (…) leur sincérité»). Soyez prudent cependant dans vos réponses: confiez vos missives à quelqu'un de sûr ou travestissez au besoin votre écriture ou astuce suprême, «lorsque vous écrivez à votre amant, ayez toujours l'air de vous adresser à une femme; dans vos billets, dites “elle” où il faut “il”.»


Sachez user de vos amants selon leur qualité: que le riche vous offre son argent, l'avocat ses conseils… et que le poète chante vos louanges («attendre de l'argent des doctes poètes est un crime»). Ovide rappelle ceci: si les vieux brûlent d'un amour plus lent, cet amour n'en est pas moins sûr; si le jeune est plus enflammé, plus fécond, il n'en est pas moins court. La sagesse ici fait écrire à Ovide: «les fruits qui ne durent pas, dépêchez-vous de les cueillir.» Notre époque parle des femmes panthères pour évoquer ce goût des amours plus excessives… mais plus éphémères.


Ovide termine son livre par ce dernier conseils aux femmes: pour être aimée longtemps il convient de se laisser désirer longtemps. Fermer la porte au besoin. Feindre la peur si nécessaire («sans danger, le plaisir est aussi moins vif»)…


L'arme ultime, l'arme de séduction massive est simple: «Faites en sorte (et c'est facile) que nous nous croyions aimés: la passion se persuade aisément ce qu'elle désire.» Surtout chez le vaniteux, ajoute Ovide. Le narcissisme, en effet, est source de grande crédulité.


Je termine donc avec les mots du poète: «Que les propos d'amour et les doux murmures ne s'interrompent jamais et que les mots lascifs trouvent leur place parmi vos ébats.»


C'est vendredi. Je vous laisse sur ces sages paroles et vous souhaite un bon week-end.

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