Expérience curieuse et troublante : j’ai regardé, coup sur coup, deux films qui se sont étrangement contaminés dans mon esprit. Le premier est un documentaire intitulé, Taxi to the Dark Side. Je reproduis le résumé ici :
À l’automne 2001, sur la base aérienne militaire de Bagram, en Afghanistan, un chauffeur de taxi sans histoire est interrogé puis torturé par des soldats américains. Après quelques jours de ce régime, il succombe à ses blessures. Partant de cet événement, le documentariste Alex Gibney tente de faire la lumière sur les pratiques de séquestration et d’interrogatoires douteuses de l’armée américaine, depuis les attentats du 11 septembre 2001. D’Afghanistan, son enquête le conduit à la prison d’Abu Ghraib, en Irak, puis à la base militaire de Guantanamo, à Cuba. Chemin faisant, Gibney reconstitue la chaîne de commandes qui a permis, et permet encore aux États-Unis, qui se perçoivent comme un modèle de démocratie, de violer à répétition la Convention de Genève.
Inutile de vous dire que certaines scènes sont assez insoutenables et ceux qui ont suivi le scandale de la prison d’Abu Ghraib, en regardant les images et vidéos qui ont circulé dans les médias et sur Internet, en savent quelque chose.
Le second film, visionné juste après le documentaire, n’était pas beaucoup plus réjouissant : Funny Games, de Michael Haneke, est un remake de son propre film qui vient de sortir en dvd, sous le titre U.S. Funny Games. L’histoire raconte la prise d’otage d’une petite famille paisible par deux jeunes gens, d'apparence non moins paisible.
Froide et détachée, la violence qui se dégage du film tend à nous faire comprendre que nous sommes arrivés à une période où la virtualité prend le dessus sur la réalité. Pour reprendre les mots du réalisateur lors d’une entrevue au journal l’Humanité lors de la sortie de la première version du film: «Le plus dangereux, c’est la perte du sens de la violence. Si on la considère comme une image ou un jeu, on est beaucoup plus près de l’exercer.»
Le plus troublant de tout cela, et ce à quoi je veux en arriver, c’est qu’il m’a été impossible de ne pas associer les deux films. Pour moi, il m’apparaissait évident que le comportement des soldats relevait de cette manipulation virtuelle de la vérité que le discours guerrier américain véhicule. «La guerre contre le terrorisme» relève, selon moi d’une rhétorique non seulement truquée, mais absolument manipulatrice, au service des intérêts de la haute finance plutôt que de la démocratie. De cela, je finirai bien un jour par en faire une thèse (ou disons, un livre), mais en attendant, je rajouterai ceci : la violence que les soldats américains infligent en toute impunité à leurs prisonniers relève des mêmes méthodes que l’État utilise pour «réformer» le héros de Clockwork Orange.
Le sadisme, la froideur, l’inhumanité de l’un et l’autre des films se répondent. Le problème ici, c’est que l’un relève de la fiction et l’autre du documentaire, mais on ne sait plus lequel doit être considéré comme le plus réel des deux. Les deux jeunes héros du film de Haneke semblent croire que tout n’est qu’un jeu (ce que le réalisateur souligne en utilisant par exemple le retour en arrière quand il veut reprendre ou effacer une scène); les responsables des tortures des prisonniers, afghans ou irakiens, trouvaient le besoin d’enregistrer via la photo ou la vidéo, leurs actes. Comme si l’image soulignait à la fois la réalité de leur action et les dé-responsabilisait en même temps en glissant dans le monde virtuel.
Les principaux protagonistes du documentaire de Gibney semblent croire que le prisonnier, réduit à une image, n’appartient pas totalement à l’espèce humaine, tout en tentant de se convaincre de la «réalité» de son statut de «combattant terroriste», réalité éminemment dangereuse qu’il faut, en dernier lieu, éliminer. Tout simplement.
Tuer, détruire… Voilà ce que l’on doit faire. Sur quelle base? La guerre au terrorisme, cette notion qui justifie tout (comme le rejet des conventions de Genève ou le principe de l’Habeas corpus*, par exemple. Qu’est-ce que le terrorisme? Ce que l’on désigne comme tel… c’est la seule définition suffisamment englobante que je peux trouver pour l’instant...
On voudrait en rire, mais on doit convenir que tout cela n'est, finalement, pas un jeu. It's not a funny game.
En attendant, souhaitons qu’un jour on cesse d’envahir et d’asservir la population d’un pays en prétendant en être le libérateur…
* Habeas corpus: règle de droit qui garantit à une personne arrêtée une présentation rapide devant un juge afin qu'il statue sur la validité de son arrestation. Généralement, le délai est de quelques jours ou de quelques heures. (…) Le principe de l'Habeas corpus est généralement respecté dans les sociétés démocratiques. Lors d'une situation d'urgence, de crise, d'insurrection, de guerre ou tous les cas de régimes autocratiques (militaires, totalitaires, etc) la règle de l'Habeas corpus est cependant souvent bafouée ou limitée dans son application. source : Perspective monde.
À ce jour, je ne connais toujours pas de prisonnier détenu à Guantanamo ou ailleurs en Irak qui aurait fait l’objet d’un procès en bonne et due forme.
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